26 octobre 2004

tezuka productions, osamu tezuka, biographie: 1928-1943

[cette critique est parue originellement sur le site bdparadisio]

Une biographie d'auteur de BD, écrite en BD, faut l'avouer, ce n'est pas si courant, le McCay, les Aventures d'Hergé ou la Vie exemplaire de Jijé mises à part. Cette Biographie d'Osamu Tezuka (créateur entre autres d'Atomu-san, alias Astro le petit robot) montre que le genre mériterait d'être davantage exploité.

D'abord, les bons points. L'ouvrage est touffu et il nous brosse un portrait très large de l'auteur dès ses premiers balbutiements. En filigrane, l'Histoire est en train de s'écrire au Japon, la Deuxième guerre se joue (et se perd), le récit se terminant sur l'occupation américaine. Occupation à laquelle Tezuka semble d'ailleurs étrangement sympathique, lui qui raffole depuis son jeune âge de culture américaine.

Très tôt, le petit Osamu se passionne de manga. Et très vite, il en dessine lui-même. C'est l'occasion d'intégrer au récit, de façon assez ingénieuse, des textes, des BD et des dessins du jeune auteur. Certains de ces dessins de jeunesse sont d'ailleurs si réussis qu'on aurait voulu les voir agrandis en pleine page. Et que dire des extraits du Sukippara no burusu ("Le blues du ventre creux"), récit manifestement autobiographique écrit des années plus tard et qu'on aimerait bien voir publié en entier si ce n'est déjà fait.

Or donc, un bon livre, bien ficelé. Alors pourquoi une note mitigée ? Eh bien surtout pour le style impersonnel et très pudique de ce livre, écrit par un studio fondé par l'auteur (Tezuka Productions incidemment), sans nom d'auteur. Et là on doit se demander si Casterman fait son travail d'éditeur en ne mentionnant même pas le nom des auteurs de cet ouvrage! Que ces noms ne paraissent pas dans la version japonaise, on n'y peut rien, mais que diable, on est chez Casterman! La maison des auteurs, quoi! Là, c'est n'importe quoi, on se croirait chez Walt Disney. C'est ce genre de pratiques qui font que même aujourd'hui, le grand public ne sait toujours pas qui sont Floyd Gottfredson ou Carl Barks. Mais je m'emporte.

Autre conséquence de l'écriture en studio, on sent le travail de comité : les descriptions sont parfois mièvres à l'ennui et c'est bien parce que l'histoire de cet auteur est en elle-même extraordinaire que l'on dévore le livre autrement sans grande saveur bien que techniquement impressionnant. Tezuka lui-même est dépeint dès son jeune âge comme un génie et un surdoué, son talon d'Achille étant sa faible constitution : il est nul en sport. Croyant peut-être que le respect du maître implique sa déification, le studio Tezuka peine à faire paraître son maître comme un être humain. Tout cela sent la commande et on se plaît à imaginer ce qu'aurait donné un véritable travail d'auteur sur le sujet.
Malgré tout cela, la lecture de ce premier tome reste intéressante et les prochains tomes (d'ailleurs, un doute m'étreint ainsi que mon portefeuille: combien y en aura-t-il?), où le jeune homme deviendra l'artiste, pourraient s'avérer passionnantes.

Ah et puis à l'attention de Casterman (paraît qu'ils lisent ça), quelques petites idées de biographies futures à faire en BD: pourquoi pas une Vie de Franquin par Bravo? Greg par Yann? Hugo Pratt par Van Hamme? :)

05 octobre 2004

chester brown, louis riel

[cette critique est parue originellement sur le site bdparadisio]

Voici un livre qui est certainement un chef-d'oeuvre de la BD canadienne. Louis Riel était le chef de l'insurrection métis, aux temps où le Canada n'était qu'une lointaine colonie britannique dont la moitié des terres appartenait en fait à l'omniprésente Compagnie de la Baie d'Hudson. C'est au cours de ce conflit ethnique et linguistique que se noua l'un des plus anciens drames de ce pays naissant.

L'approche de Chester Brown est assez unique. Sa rigueur biographique (avec index des noms propres et notes de fin de volume) dépasse le From Hell de Alan Moore, modèle du genre. Son trait minimaliste, lui, est redevable, l'influence est étonnante mais évidente, à Harold Gray, créateur du strip Little Orphan Annie.

Résultat, plutôt que d'aborder son histoire sur un angle sentimental (le cliché "Vécu"), Chester Brown synthétise le drame de Red River, il le schématise et le rend compréhensible. Ce faisant, il montre comment de petits incidents, exploités plus ou moins habilement dans diverses malversations politico-corporatistes, ont pu miner la relation entre Métis et Anglophones... Et c'est sans parler des Autochtones qui continueront à être massacrés sans grand ménagement.

Chester Brown, qui aurait pu choisir d'enjoliver, de romancer, offre plutôt au lecteur un magistral (c'est le mot!) livre d'histoire. Ses personnages sont humains, ses situations réalistes. Il nous dessine un Louis Riel complexe, contradictoire, ancré jusqu'à sa mort dans ses convictions très personelles. Brown nous joue les dessous de la politique canadienne, ses profondes racines assimilationnistes (la communauté Métis fut mise au pas entre autre car le Canada ne voulait pas d'un "autre Québec"; lire: d'une autre province francophone), et son rôle dans ce qui deviendra un conflit ethnique dont les traces sont toujours présentes aujourd'hui.

Pour toutes ces raisons, mais aussi parce que c'est une lecture passionnante, on peut dire que Chester Brown a commis là un livre majeur et on ne peut que saluer sa sortie en français.