02 novembre 2002

blutch, vitesse moderne

[cette critique est parue originellement sur le site bdparadisio]

Blutch est un auteur dont je me méfiais à cause de son énorme talent de styliste. Ce dessin maniéré, au trait faussement bâclé, nerveux et plein de vie, mais si parfaitement figé dans ce mouvement qu'il crée qu'il ressemble à de la sculpture... A priori, dans le genre "nouvelle BD" je lui préfère un Sfar, beaucoup plus relâché et sans complexe. Le dessin trop stylisé a cette fâcheuse tendance à n'exister que pour lui-même, à ne servir qu'à être beau... Et c'est parfois le cas avec Blutch, mais l'auteur semble avoir tellement conscience de son talent qu'il ironise dessus à pleines pelletées, ce qui change la donne du tout au tout...

Cet album est en fait une très agréable découverte, qui montre que ma méfiance initiale n'était absolument pas fondée. Blutch crée ici une sorte de rêve collectif, comme si le récit était fait de morceaux des rêves des protagonistes. Le scénario y trouve de nouveaux ressorts, permettant des choses impossibles dans un récit "réaliste". Mais il ne s'agit pas d'un récit sans queue ni tête, loin de là... Les événements s'enchaînent sur un rythme sans faille, les dialogues sont savoureux et l'humour (second degré minimum!) est incisif à souhait.

La maîtrise du dessin est exceptionnelle. Les tiroirs (thèmes et symboles) sont nombreux et on peut apprécier et analyser le livre de nombreuses façons, ce qui contribue au plaisir de lecture. La "vitesse moderne" est très bien rendue, alors que tout semble aller trop vite pour les personnages dans ce monde pseudo-onirique. Les ambiances irréelles ajoutent encore un degré d'émotion à un album qui n'aurait pu être que froid et clinique, s'il n'avait été qu'un exercice de style. Non, Blutch est inspiré et inspirant, et son histoire remue les méninges et les tripes.

Une petite parenthèse pour dire que la collection Aire Libre offre sans doute le meilleur format pour de la BD couleur, et c'est une chance pour nous lecteurs que des auteurs tels que Blutch, Blain (Le réducteur de vitesse, quel beau livre...), David B ou Guibert y aient accès...