24 mars 2005

où est la critique de BD dans les journaux?

dans la série "lettres envoyées au devoir mais qui ne seront jamais publiées" (il y en a d'autres; je les incluerai sans doute ici éventuellement) voici mon réquisitoire pour plus de critique de BD dans les journaux. je l'ai envoyé au devoir parce que c'est le journal que je lis. le journal de montréal n'a pas de chronique littéraire donc ça ne sert à rien de leur envoyer quoi que ce soit. quant à la presse, ceux qui me connaissent savent dans quelle piètre estime je tiens le néfaste torchon petit-bourgeois.

mais voilà, le propre des lettres ouvertes est qu'elles sont ouvertes et donc, ouvrons grand...

Où est la critique de BD dans les journaux?

Chaque fin de semaine, lorsque j'ouvre le cahier Livres, j'ai ce petit espoir secret et un peu naïf d'y trouver une chronique intitulée "bande dessinée". Voeu rarement exaucé. Il est vrai qu'une fois de temps en temps, un article pointe son nez: le plus souvent court, superficiel, avare de développement. Et pourtant, tout autour, de longues analyses de fond sur tout ce que les librairies comportent comme essais, romans, recueils de nouvelles ou de poésie, livres jeunesse, livres de recettes, "beaux livres" et j'en passe.

Comment expliquer cet état de choses? La réponse facile, toute faite, mille fois entendue, est que la BD n'est pas un "genre sérieux" et qu'elle n'intéresse qu'un nombre marginal de lecteurs qu'on suppose peinant à passer à l'âge adulte. Le problème avec cette réponse est qu'elle relève du fantasme: d'un, la bande dessinée est un médium (parler de "genre" n'a pas beaucoup de sens); de deux, elle est tout aussi potentiellement "sérieuse" ou "farfelue" qu'un roman ou une pièce de théâtre peut l'être; et de trois, ses amateurs sont nombreux, cultivés et n'aiment pas particulièrement se faire passer pour des débiles.

Quand comprendra-t-on que la bande dessinée est un trésor de littérature internationale et qu'il est plus que sain de s'y intéresser? Elle possède ses classiques, ses grands auteurs dont l'oeuvre traverse les âges: pensons à Herriman, à Franquin, à Tezuka, pour ne nommer que trois de ses génies. Elle possède une histoire riche remontant au moins aussi loin qu'au 17e siècle, une théorie bien étoffée, des écrits critiques à profusion.

Plus important encore, la bande dessinée est un art vivant, pratiqué partout dans le monde. Le Festival d'Angoulême s'est récemment imposé comme la référence internationale, équivalent de Cannes sans les paillettes. Une nouvelle garde s'est établie au cours des dix dernières années, révolution comparable à la Nouvelle Vague ou au Nouveau Roman. Cette révolution artistique, dont on voit les fruits autant en France (Sfar, Blain, David B...) qu'aux États-Unis (Clowes, Ware...) ou au Québec (Doucet, Rabagliati...), est systématiquement ignorée par l'essentiel des quotidiens québécois mais, étrangement, pas par Le Monde ni le New York Times qui y consacrent chacun un espace substantiel. Manque de "sérieux" de leur part, sans doute...

La BD québécoise a fleuri au cours de la dernière décennie et produit de plus en plus de livres remarquables. Il est vrai que l'on en parle plus volontiers dans nos journaux, mais rarement et de manière plutôt anecdotique. Qui plus est, on détache cette production du contexte international, essentiel à une bonne compréhension de l'oeuvre. Comment bien saisir tout le rayonnement, toute la subtile originalité de ce que font des auteurs comme Jimmy Beaulieu ou Chester Brown si on ignore ce qui se fait au même moment ailleurs dans le monde? Ce serait aussi absurde que d'analyser Hubert Aquin ou Réjean Ducharme à la seule lumière de la littérature québécoise!

Peut-on imaginer un grand quotidien sans ses critiques de littérature et de cinéma? Alors, à quand une chronique hebdomadaire (voire quotidienne) sur la bande dessinée dans Le Devoir? Les lecteurs s'interrogent...

15 mars 2005

quelques personnes extraordinaires

quatre fenêtres gardées ouvertes depuis des semaines (merci SessionSaver):

- pierre alexis ponson du terrail, maître du feuilleton;

- erich von stroheim, cinéaste et acteur mythique;

- edda tasiemka, la "google humaine";

- louisa may alcott, auteure de little women.

des nouvelles lectures? ah oui, il y en a eu quelques unes. le temps de les digérer et j'en parlerai éventuellement. ou pas.

conseil de la semaine: la compilation unclassics mixée par morgan geist. le sous-titre dit tout: "obscure electronic funk & disco 1978-1985". en bref: 12 pièces essentielles pour vous réconcilier avec le disco. morgan geist est également partiellement responsable du réjouissant album metro area. si vous aimez l'un, vous risquez d'aimer l'autre.

2 commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit:

Salut David.
En nouvelles lectures, je bassine tout le monde avec les formidables livres de Gipi:
- Notes pour une histoire de guerre (chez Actes-Sud)
- Les innocents (chez Vertige Graphic)
Deux lectures qui m'ont vraiment chamboulé.

17 mars, 2005 07:44  
Blogger david t a écrit:

moui, j'attends que les gipi accostent à montréal et c'est long... :)

17 mars, 2005 17:34  

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01 mars 2005

matsumoto, feiffer...

amer béton (de taiyou matsumoto bien sûr) est une lecture bien étrange... évidemment, c'est très bon et très beau: matsumoto maîtrise déjà bien son trait bien qu'il n'est pas encore le virtuose de ping pong. surtout, il sait rendre ses personnages crédibles et c'est un excellent illusionniste: on croit sans peine à toutes ses fantaisies. ses symboles sont gros (le noir et le blanc; les chats, le rat, le serpent; etc.) mais il les détourne de façon assez habile et on reste loin de la psycho de cégep (en fait, en lisant ce genre de livre un peu violent et tapageur, j'ai toujours peur de voir sortir la morale d'idiot, la leçon de vie boboche, le gros pathos braillard qui avaient tant gâché ma (re)lecture du premier cycle de the maxx il y a quelques temps.)

sauf que, sauf que... chez matsumoto, il y a toujours ce sens de l'équilibre à faire ou à briser -- un état d'interdépendance parfait entre deux personnages qui s'effrite, se refait, devient autre chose... l'auteur est allé loin avec ce schéma dans ping pong qui est autrement plus réaliste qu'amer béton. la grande innovation de son oeuvre en cours, l'excellentissime number 5, est finalement qu'elle fait passer cet équilibre binaire à un autre, plus large, qui ressemble davantage à une roue de couleurs représentant les neuf membres de ce que matsumoto appelle l'armée des... rainbows! (bien sûr, il y a aussi un équilibre binaire, beaucoup plus troublant, celui-là entre number 5 et l'étrange matrechka, symbiose aussi grotesque que parfaite.) on imagine l'auteur, penché sur son schéma, établissant des complémentarités parfaites entre ses personnages mais en tournant la roue juste assez pour que les teintes ne soient pas trop pures ni les connections trop évidentes...

beau trait d'auteur chez matsumoto: il recycle sans cesse ses meilleurs "acteurs". découvrant ses oeuvres dans la chronologie inverse, je suis enchanté de retrouver plus ou moins le personnage du pongiste chinois wenga kon sous les traits du yakuza appelé "le rat" dans amer béton. et on sent évidemment une affection particulière de l'auteur pour son personnage de noiro dans amer béton, qui devient smile, le bon deuxième dans ping pong et (ça ne s'invente pas!) number 2 de l'armée des rainbows dans number 5.

il me reste à lire le dernier tome d'amer béton et je reviendrai sans doute bientôt sur cet auteur que j'aime beaucoup.

un mot (je l'ai promis -- mais à qui? personne le lit ce carnet :) sur le fameux tantrum de jules feiffer, qu'on pourrait traduire par "grosse colère". graphiquement, tantrum ressemble à une collection de dessins de presse mais il ne faut pas s'y tromper: tout cela se suit et forme une "graphic novel" de très bonne facture. sur ce point, on peut pinailler: j'appellerais plutôt cela une "novella" personnellement. m'enfin, c'est un livre qui a son importance historique aux états-unis: on dit de ce livre publié pour la première fois en 1979 qu'il a contribué à inventer la lignée du "graphic novel" dont sont redevables aujourd'hui les spiegelman, ware et compagnie; on pourrait comparer son influence à celle d'ici même de forest et tardi, paru à peu près à la même époque.

évidemment, ce qui saute tout de suite aux yeux c'est que feiffer est un énorme dessinateur et que son coup de patte fait peur. chez feiffer, il n'y a pas d'ébauche avant la mise au propre: l'ébauche EST le dessin (et, rien à voir avec joann sfar qui, lui, prend son temps). et son histoire, partant d'un postulat absurde (leon, un homme de quarante ans, décide qu'il n'a plus quarante ans mais bien deux... et de fait, se transforme en bébé de deux ans), est bien plus tordue qu'il peut y paraître à première vue. c'est que la transformation amènera leon à retrouver ses parents, amis, famille... et à déchanter passablement. le tout est mené à un train d'enfer et reste agréablement grinçant de bout en bout.

5 commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit:

Ah c'est malin: voilà que j'ai envie de lire Matsumoto maintenant. :)
(Amer Béton est introuvable en France je crois…)

01 mars, 2005 07:19  
Blogger david t a écrit:

salut yannick!

en fait, amer béton est encore trouvable mais seulement sur un coup de chance, comme ça m'est arrivé. j'avais l'impression que je ne le trouverais jamais et du fait, je ne l'ai jamais cherché; il m'est pour ainsi dire tombé dans les mains. :) je crois qu'il existe encore des stocks au fond de librairies obscures qui n'attendent qu'à être retournées à l'éditeur (tonkam) et remis sur le marché -- c'est du moins ce que j'ai compris. donc ça vaut la peine de demander à ton libraire s'il peut le commander.

mais commence déjà par number 5 ou ping pong si tu en as la chance, tu ne le regretteras pas. c'est très fort.

01 mars, 2005 14:28  
Anonymous Anonyme a écrit:

Number 5, j'avais déjà lu ce que tu en écrivais sur un certain forum et oui, c'est très tentant. Combien de volumes de prévu par contre?

01 mars, 2005 14:46  
Blogger david t a écrit:

je ne sais pas car la série est toujours en cours au japon. pour l'instant, 3 tomes et un nouveau prévu pour le mois prochain je crois. ping pong est en 5 tomes (1000 pages de BD!) et amer béton en 3.

01 mars, 2005 14:51  
Anonymous Anonyme a écrit:

J’ai eu la chance, par la gracieuseté d’un prêt de notre hôte David T., de faire la lecture de la trilogie Amer Béton de Matsumoto. J’en ressors particulièrement touchée. La profondeur psychologique des personnages résonne encore dans mon esprit malgré l’économie de mots de l’auteur et malgré le fait que j’ai terminé cette lecture, il y a déjà un petit moment.

Je me permets la comparaison entre cet ouvrage et un triptyque en peinture. L’ouvrage est fait de trois parties munies de leur propre identité et de leur propre atmosphère, juxtaposées l’une à la suite de l’autre, finissant par donner naissance à un tout équilibré mais particulièrement dynamique grâce à ces trois temps distincts. Cette œuvre est riche, vachement plus riche que ce à quoi je m’attendais et auquel je suis habituée. Ce récit, ma foi surprenant tant il annonce à première vue une simple histoire de ‘tits culs aux prises avec de vilains yakuzas, nous surprend sans cesse avec ces écarts stylistiques. On passe de l’aventure aux combats violents à l’intimité des moments tendres de yakuzas en crise existentielle en passant par la fantaisie quasi psychédélique du délire psychotique de l’un, à l’autisme de l’autre de nos deux héros prépubaires. Ici, la sauvagerie cruelle fait vie commune avec une intimité toute tendre. Jolie tour de montagnes russes (asiatique) à passer en compagnie de ces deux gamins, frères plus siamois qu’on le croirait… Miaou!

À remarquer; une première (en ce qui me concerne), la force constabulaire n’est pas ridiculisée! Wow!

À noter; les petits détails enrichissant la facture du dessin et même du récit, voir les panneaux publicitaires et les animaux symboliques, discrets mais à découvrir.

J’ai apprécié; les personnages secondaires vachement riches eux aussi, qui ré-enlignent et propulsent nos héros aux confins de leur personnalité tordue ainsi que la facture personnelle du dessin, à mille lieux du sempiternel format « gros yeux larmoyants ».

J’en veux encore!

Élodie

29 juin, 2005 13:52  

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