23 avril 2005

les mêmes que d'habitude, et d'autres (dont forest, oda, masse, trondheim...)

pour une fois, beaucoup de BD lues et relues récemment... tout d'abord, le krazy & ignatz de 1933-34, que les maniaques vont adorer (je ne prendrai pas la peine de conseiller ce tome à ceux qui veulent "découvrir" herriman; ceux-là devraient commencer par l'excellente biographie signée patrick mcdonnell) entre autres parce qu'il compile des planches que l'on croyait perdues, voire inexistantes, produites pendant les années les plus obscures de l'auteur, alors qu'il n'était publié que par deux ou trois journaux, les rédacteurs-en-chef de l'époque étant, dit-on, submergés de plaintes de la part des lecteurs pour ce strip jugé trop ésotérique et ambigu. je me répète, là. je me suis déjà épanché (et en état d'ébriété, en plus; ceci expliquant cela) sur le cas herriman dans une précédente missive. que dire de plus qui n'ait été dit par moi ou l'un des nombreux exégètes du maître? (on croirait parfois qu'il n'y a que des spécialistes qui lisent herriman; on met pourtant bien lewis carroll entre les mains des petites filles innocentes!)

avant ça je suis tombé sur n'importe quoi de cheval. le dessin de forest me régale toujours, ainsi que ses dialogues. pourtant je n'avais pas accroché sur le monstre du loch ness ni sur comment décoder l'etircopyh, les deux précédentes aventures de la sensuelle et caractérielle hypocrite. mon impression était que la construction en feuilleton causait trop de redites, empêchant le moindre rythme de s'installer. mais avec n'importe quoi de cheval, la bride est lâchée et rien n'arrête le merveilleux récit absurde et déjanté de forest. l'auteur donne dans la science-fiction à pleins gaz et on sent quelques parallèles ici et là avec le très beau space opera au second degré qu'il commit à la même époque avec gillon (au dessin), les naufragés du temps (je cherche toujours désespérement le 4e tome de cette courte saga.) forest est, encore et toujours, un auteur à lire. il faut se glisser dans ses livres comme dans une douce couverture où vous attend une jolie fille aux seins pointus et au sourire moqueur. commencez déjà par enfants, c'est l'hydragon qui passe. puis, la jonque fantôme vue de l'orchestre. après, vous y allez comme vous le sentez.

une nuit que je ne dormais pas, je me suis re-tapé ada dans la jungle d'altan et j'ai bien rigolé. on ne se lasse jamais des classiques. l'héroïne d'altan est elle aussi superbe, mais c'est surtout un monstre d'avidité, une garce de la pire espèce dont, bien sûr, on s'attache d'autant plus que "ce n'est qu'une histoire". une belle "histoire morale" comme on les aime... un autre plaisir a été la découverte du nouveau luc giard, donut death, sympathique gueuleton acidulé qui me fera patienter avant la sortie attendue de son pont du havre. là aussi, encore des filles, les bonnes vieilles muses de giard, ses plantureuses serveuses de dunkin donuts inquiètes et ses vixens de l'espace au regard fuyant. bref, que du bonheur.

puis, deux lectures continuées: d'abord le tome 4 de number 5 (matsumoto toujours), enfin arrivé dans nos contrées lointaines, s'est fait lire un peu rapidement, surtout qu'il consiste presque entièrement en un long flashback, découpé un peu lâchement. allez, ça reste passionnant. j'ai cru pendant un moment que matsumoto allait nous faire 5 tomes bien tassés (comme ping pong) mais j'ai l'impression maintenant que ça ne sera pas fini avant une dizaine de tomes pour cette histoire aux fils encore bien enchevêtrés.

j'ai pu également terminer dispersion de hideji oda, dont le premier tome m'avait laissé plutôt perplexe. ce second et dernier tome (qui regroupe en fait les tomes 2 et 3 de l'édition japonaise) fournit un développement nécessaire à cette histoire lente et mélancolique. en fait, je m'étais convaincu que l'auteur allait se péter la gueule avec la suite de son histoire à mi-chemin entre un (photo)réalisme assez cru et une fantaisie surréaliste d'une austérité franchement bizarre. force est d'admettre que j'avais tort. finalement, ce qui donne de la substance à ce récit très personnel, c'est le fait que les personnages vieillissent, qu'ils finissent par se comprendre eux-mêmes et entre eux, "à force". la question posée par ce livre c'est: "jusqu'où peut-on fuir?" c'est un peu adolescent, avouons-le, mais c'est pourtant très touchant et bourré de scènes réussies.

dans le registre (post)adolescent, je n'aurais pas cru non plus accrocher autant sur la novella éponyme du same difference and other stories de derek kirk kim (récemment traduit en français). "tranche de vie", sans doute, engoncée dans les clichés d'une certaine génération américaine cultivée par le grunge (je suis passé par là donc je compatis d'autant plus facilement) mais étonnante et sincère. et graphiquement très bien foutu, d'ailleurs. les histoires courtes qui suivent sont plutôt inégales, dommage, mais l'histoire principale vaut amplement le billet d'entrée.

et là, qu'est-ce que j'ai trouvé, dans ma tournée hebdomadaire des librairies? deux trésors qui me feront sans doute passer une jolie semaine. d'abord la rarissime encyclopédie de francis masse. en fait, je mentirais si je disais que je savais quoi que ce soit sur ces deux tomes massifs publiés en 1982 aux humanoïdes associés et impossibles à trouver sauf sur coup de chance, sinon que l'association avait longtemps voulu les rééditer... mais il semble que ça ne se fera plus, si j'en crois un de mes correspondants (bonjour philippe!). bref, je ne connais masse que de réputation, mais quelle réputation... j'ai donc commencé à feuilleter les dits ouvrages et je sens que je vais me régaler; ils ont en tout cas tout de l'artéfact extraterrestre inexplicable. bon, et quoi encore? ah bien sûr, le nouveau complete peanuts, quoi d'autre? allez hop, les années 1955-56, schulz comme un roman. un roman de 7500 pages s'étalant sur 25 tomes. serait-ce là la véritable "great american novel"?

ah oui, et puis j'ai relu pour la cinq ou sixième fois lapinot et les carottes de patagonie de lewis trondheim. c'est toujours aussi bon. reste qu'il faudrait une suite. non, je ne parle pas de la fin "ouverte" qui a troublé tant de lecteurs mais d'une bonne dizaine de fils narratifs laissés en suspens (je les noterais bien au fil de ma lecture si elle ne m'obnubilait pas déjà complètement). par exemple, nous expliquera-t-on un jour qui peut bien vouloir du mal à rodrigo-anton alvarez della silvana (et que sont donc les livres qu'il cherche au monastère sivhak?) qu'advient-il de ghoran une fois qu'il s'est transformé en terminosaure? et mirabelle, qui, nous dit-on, erre entre deux dimensions, qui va la sortir de là? comment, je pinaille? ah là là... jamais content!

1 commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit:

Très intéressant tout ça, et alléchant.
Moi qui suis à la diète forcée de nouvelles lectures voilà la fringale qui me reprend par ta faute, haha!

23 avril, 2005 08:47  

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10 avril 2005

george herriman, auteur maudit



les deux comic strips généralement considérés comme les chef-d'oeuvres absolus du genre sont krazy kat de george herriman et peanuts de charles schulz. vous ne me verrez pas contredire cette opinion que je trouve parfaitement justifiée.

pourtant, les deux oeuvres sont à des lieux l'une de l'autre. d'abord, chacun représente une époque très différente de la BD américaine. d'abord herriman, la liberté absolue des années 1900-1920, ces décennies d'invention sans pareil. puis schulz, qui, en 1950, succède aux décennies de crise, cette époque ingrate dont blondie est l'archétype, avec son strip pointu, très moral mais pourtant très loin du ridicule prêche d'un harold gray dont le talent n'a rien à envier à l'infâme bigoterie. non, schulz est croyant (du moins à ses débuts) mais il se garde bien d'écrire ce qu'il pense en lettre grasses, soulignées et encadrées avec notes en bas de page.

l'autre différence, majeure celle-là, est celle de la gloire. si schulz a pu devenir, longtemps avant sa mort, le cartoonist le mieux payé de l'histoire (entre autres grâce à un habile merchandising de ses personnages), herriman a, lui, passé les 15 dernières années de sa vie dans l'incompréhension la plus totale, au point où, vers les années 1930, à peine deux journaux (oui oui, DEUX) publiaient la page du dimanche de krazy kat. la raison? passé 1929, les lecteurs se plaignaient du non-sens de son oeuvre. herriman n'a pu compter que sur l'appui, aussi puissant qu'inexplicable, du magnat de la presse william randolph hearst (citizen kane lui-même) pour la survie de son strip, devenu ésotérique par la force des choses.

on connaît un (je répète: UN SEUL) strip de peanuts partiellement perdu: il s'agit du dimanche 3 mai 1953 (bref, le début de sa carrière), dont il manque le premier tiers. point. pour herriman, c'est une autre histoire: après avoir connu un succès relatif au cours des années 1910 et 1920, l'auteur voit, au cours des années 1930, ses planches charcutées; dans au moins une dizaine de cas, on ne peut guère qu'imaginer à quoi ressemblait vraiment la création de l'artiste, les originaux étant perdus et les copies (uniquement disponibles sur de rares archives en microfilm), mutilées à jamais. les rééditions présentes (krazy & ignatz, chez fantagraphics) doivent reconstituer, plus ou moins "au pif", les originaux.

schulz est un génie et la lecture de peanuts est un pur moment de grâce comme il s'en fait peu (à lire dans la langue originale bien sûr), mais on comprendra que ma sympathie va vers herriman.

d'ici la fin de l'année paraîtront les premières pages en couleur d'herriman, parues en 1935, et d'une beauté effarante. sincèrement, il s'agit d'un événement éditorial extraordinaire. herriman est le plus surréaliste de tous les auteurs de bande dessinée, un auteur modeste dont l'oeuvre est une sorte d'impossible concile onirique présidé par joyce et duchamp. il y aurait tant de choses à dire sur son compte, ceci devra suffire pour l'instant.

01 avril 2005

pas d'éloges pour les crétins

ces temps-ci, je lis sur l'histoire du moyen-âge. au départ c'était pour me documenter pour un projet (dont je ne parlerai pas ici) mais à ce point-ci, je lis par simple intérêt général. ces lectures me font sentir toutes les lacunes de mon éducation. bien sûr, nos cours d'histoire sont plutôt orientés sur "notre" histoire, c'est-à-dire celle du québec, celle du canada, voire celle de l'amérique. bien sûr, les livres que je lis aujourd'hui se concentrent quasi exclusivement sur l'histoire européenne... en bref, on lit l'histoire d'une civilisation dont les voisins sont trop éloignés pour qu'on en sache trop grand chose. évidemment, le monde a changé de ce point de vue: il s'est virtuellement rétréci et nous n'avons plus la moindre excuse d'ignorer ce qui se passe ailleurs. (et un lieu commun, un.)

le plus frappant est la résonnance que cette histoire a encore de nos jours. j'avais à peine terminé l'éloge de la folie d'érasme (très bon texte d'ailleurs) que voilà que j'y trouvais des références çà et là dans des publications récentes. érasme me plaît bien. hollandais à une époque où cela signifiait avoir la liberté de croyance, il paraît tout surpris de choquer les bien pensants avec sa moria. bien sûr, érasme est trop intelligent pour qu'on croie à sa naïveté, mais sa candeur fait sourire.

l'éloge est de ces textes qui se critiquent eux-mêmes, donc inutile d'en faire la critique. en langage informatique, on appelle cela des honeynets. en français, des pièges à cons. attaquer l'éloge de la folie, c'est se découvrir soi-même comme crétin.

j'aime beaucoup le mot "crétin" (je vous laisse en découvrir vous-même l'étymologie). il répond à un besoin qui me taraude depuis quelques temps déjà, celui de trouver une insulte véritablement redoutable. "imbécile" n'est franchement pas assez percutant. "con" se dit de tout et n'importe quoi, et surtout du plus trivial. "stupide" ne dit rien d'autre que l'incompétence et l'ignorance. "cave" ne s'applique qu'aux chauffards et aux sympathisants d'extrême-droite. "idiot" est en soi une circonstance atténuante. "fou" est également à éliminer, par respect pour les fous (littéraires ou autres).

en revanche, le crétin est celui devant lequel on roule les yeux vers le haut en faisant la grimace: sans nier que le crétin puisse posséder une certaine intelligence, on l'évitera par prudence. par exemple, un esprit éclairé votera toujours pour un imbécile plutôt que pour un crétin. en amitié, il favorisera bien sûr les fous, les idiots et, à la rigueur, les cons lorsqu'ils sont de compagnie agréable. les gens intelligents sont toujours un peu des trois.

que dit le crétin? il faut d'abord voir ce qu'il ne dit pas:

Ce dont on ne peut parler, il faut le taire.
- wittgenstein


soit dit en passant, n'est-il pas merveilleux que l'on puisse exprimer en dix mots une pensée aux conséquences aussi vastes pour l'humanité entière?