10 février 2003

joann sfar, lewis trondheim et andreas, la carte majeure

[cette critique est parue originellement sur le site bdparadisio]

Andreas sauve tout. Dessin, découpage, rythme, tout est parfait. Un régal. Pour le scénario, l'histoire explique certains aspects d'Armageddon (amusant de voir le mage Gilberto "transplaner" entre les deux albums), mais le tout, passé les confettis, manque un peu de substance. Les gags, qui sont le ressort principal de ce récit sans grande intrigue, doivent souvent beaucoup aux découpages inventifs d'Andreas (voir la scène hilarante chez les moines qui imitent tout ce que Marvin Rouge fait). Et puis Terra Amata en morceaux est un univers absurde et fantastique à exploiter.

Tout cela est bien agréable à lire mais un brin léger côté scénario. Étirerait-on la sauce? Allez, messieurs les auteurs, personne ne vous oblige à faire vraiment 300 tomes (plus les Monsters! on n'en sortira jamais!) La qualité d'abord, s'il vous plaît!

02 février 2003

ted benoit, berceuse électrique

[cette critique est parue originellement sur le site bdparadisio]

Casterman a sans doute bien fait de lancer cette collection "Classiques" qui fait la part belle aux fleurons de leur catalogue. Ce fut en tout cas un bon prétexte pour m'intéresser à l'oeuvre de Ted Benoit, que je ne connaissais pas. Je n'ai pas pu m'empêcher d'acheter l'édition originale, malgré qu'on n'y retrouve pas la préface et les dessins additionnels de la réédition présentée ici. Caprice de collectionneur, sans doute! Le contenu qui nous importe (c'est-à-dire l'histoire) étant le même, je me permets cette critique.

D'emblée il y a une difficulté avec ce livre, c'est qu'on n'entre pas immédiatement dans le jeu de l'auteur. On comprend vite l'intention parodique, mais il faut quand même un tiers du livre avant d'apprécier le décalage hautement subtil de Ray Banana, personnage inattendu vivant dans un monde "ligne claire" jusqu'à la moelle, qui emprunte autant aux mythiques années 50 qu'à l'époque contemporaine de l'album (c'est-à-dire 1980.) Ce mélange d'époques, bien qu'irréaliste, semblera étrangement naturel à quiconque ayant comme moi, passé son enfance dans les années 80 à lire des BD d'une autre époque... C'est qu'à ce moment, on ne bronchait pas sur les anachronismes d'un vieux Spirou, par exemple. Tout semblait venir de la même époque abstraite d'où venaient d'ailleurs toutes les autres BD. Benoit, lui, explore nonchalamment les limites, les aberrations, "l'envers du décor" de cette pseudo-époque.

Les personnages de cette histoire sont distants, froids et impossibles. On se croirait dans Tintin. Mais ils ont aussi quelque chose d'halluciné qui fait très "menace nucléaire latente". Et contrairement à Chaland (qui se réclamait davantage de Jijé et Tilleux mais qui a inventé son propre style au passage), le trait de Benoit dans ce livre doit vraiment presque tout à Hergé et Jacobs. Il faudrait un oeil de lynx pour lui reconnaître une "patte" bien à lui. Ce qui, à mon sens, fait la "marque Benoit", c'est plutôt la façon dont il combine scénario, mise en scène, découpage et trait pour créer une "expérience ligne claire" absolument totale et très intelligente, en ce sens qu'elle connaît, et joue avec ses codes et limites propres. Là où Chaland était géomètre, Benoit est schématiste.

L'histoire est un joli casse-tête tordu entre robots extra-terrestres, secte apocalyptique et crimes scabreux entre financiers. N'ayez crainte, le stoïque Ray Banana résoudra tout ça. Ted Benoit offre là une intrigue labyrinthique qui ne prend décidemment pas le lecteur pour un imbécile. Une fois que vous aurez lu (et aimé) celui-ci, je vous suggère (tant qu'on y est) de dénicher son Histoires vraies (scénario Yves Chéraqui, aux Humanoïdes Associés, trouvé usagé pour 3 petits dollars canadiens), qui contrairement à ce qu'affirme la biographie sur ce site, n'est pas un recueil mais bien un récit complet, déssiné en plusieurs styles différents (régressivement, rien de moins!) sur une trame angoissante (et passablement elliptique) de science-fiction à la Philip K Dick. Dans les deux cas, des livres qui demandent plusieurs lectures, d'abord pour comprendre l'histoire (!) puis pour apprécier les multiples détails, anachronismes et autres lubies de l'auteur. Que du très très bon.