22 février 2006

encore macherot (entre autres choses)

vous ne le réalisiez pas, mais vous êtes sous surveillance, cher lecteur. c'est que, même les jours où je n'écris rien sur ce blogue (c'est-à-dire presque tous les jours), je prends note des statistiques de visite (très basses, comme il se doit), question de voir, vaguement, globalement, imprécisément, qui ou quoi vient lire les petites choses que je m'amuse à écrire.

ma rubrique préférée, bien sûr, est celle qui me donne les phrases de moteur de recherche ayant trouvé ce site. c'est celle qui m'amène les plus agréables surprises. entre la question de l'existence du marsupilami et les demandes répétées pour l'étymologie du mot crétin (qu'ironiquement nous ne donnons pas dans cet article), sans oublier bien sûr celles concernant krazy kat ou l'oeuvre de taiyou matsumoto, l'auteur qui revient le plus souvent dans ces requêtes est, vous l'avez deviné (mais oui, puisque je vous le dis), raymond macherot.

étonnant? peut-être pas. l'auteur revient à la mode chez les collectionneurs, paraît-il. espérons que ces derniers ne se contentent pas seulement de laisser moisir leurs trouvailles en attendant qu'elles prennent de la valeur. espérons qu'ils les lisent, ces damnés livres introuvables par le commun des mortels!

en d'autres mots, il semble que macherot soit en demande, alors que l'offre, elle, est inexistante. oh, bien sûr, lombard rééditera bientôt les trois premiers chlorophylle dans une reliure hors de prix ressemblant à l'édition originale. d'ici quelques mois, l'éditeur fera de même avec les trois clifton de macherot. il reste à voir si ces initiatives éditoriales, bienvenues mais sentant un petit peu l'opportunisme au profit de quelques collectionneurs fortunés (car l'objet, nous avertit-on, sera onéreux), auront des suites.

puisque c'est dit, et puisqu'il s'agit manifestement de la demande générale, profitons-en pour recenser quelques pièces de l'oeuvre macherotienne agréablement acquises depuis ma dernière missive à ce sujet.

chlorophylle à croquefredouille: une fois fait abstraction de l'horrible maquette, on déguste cette collection récente qui contient, outre la revanche d'anthracite déjà recensée, les deux fameux tomes où débutent les aventures de chlorophylle et minimum sur l'île de croquefredouille, où habitent des animaux ayant atteint un niveau de civilisation rejoignant celui des humains, une idée qui sera reprise quelques années plus tard, dans chaminou et le khrompire. il s'agit des croquillards et de zizanion le terrible. ces deux histoires ne paraîtront pour la première fois en album qu'en 1980, vingt ans après leur création.

ce manque de jugement du lombard peut être attribué à une certaine gêne face au sujet même de ce cycle d'histoires. comme on le sait, chez macherot, les animaux ne sont pas "gentils" même s'ils en ont l'air. ils ont besoin de nourriture, d'un toit pour vivre, et après ça, d'amis et de bon temps. bref, malgré une certaine propension à l'anthropomorphisme et à la pensée abstraite, les animaux de macherot sont fonctionnellement et socialement des... animaux. (et non pas des humains symboliquement dessinés en animaux, comme chez disney ou trondheim.) le problème politique animal raconté par macherot se résume assez facilement: pour obtenir la cohabitation entre espèces, un roi (ici, la souris mitron) instaure le végétarisme obligatoire. or, de sombres individus veulent assouvir leurs instincts carnivores. comme il s'agit la plupart du temps de gens haut placés (le chef de la police, par exemple), ils ont tout loisir de s'adonner à ce plaisir impunément. d'autant que macherot ne se dépêche jamais pour envoyer son héros à la rescousse. on l'a compris, chez macherot, les gros mangent les petits, et la cruauté de la mécanique n'est acceptable que par son statut de fable (ce qui nous fait gratuitement rêver que celles de la fontaine eussent été des bandes dessinées).

chaminou et le khrompire fut, on l'a dit, construit sur un principe similaire, mais ici, les hommes n'existent tout simplement pas, même en marge. le roi est un lion, il possède une police secrète dont fait partie le très aristocratique chaminou. il est intéressant de comparer ce récit enlevé mais classique à la relecture acidulée qu'en font yann et denis bodard dans l'affaire carotassis. yann étant yann, il connaît bien son sujet et sa version de chaminou est entièrement cohérente avec celle de macherot. cependant, chez yann les détails sont davantage creusés. son travail sur cet album est franchement admirable (mentionnons également le dessin nerveux et élégant de bodard, différent de la patte du maître mais suffisamment apparentée), même si certains éléments de la série seront dynamités dans ce tome qui n'appellera manifestement pas de suite. le personnage de chaminou lui-même, tout en gardant toute sa superbe, n'en perd pas moins beaucoup de l'innocence naturelle commune aux héros de macherot.

c'est cette pureté fabuleuse que nous retrouvons dans le cycle des trois premiers sibylline. nous avons déjà parlé du tome deux, sibylline en danger. sibylline et les abeilles en est la suite directe, et nous relate la fin du siège de la bande d'anathème. la scène illustrée en couverture (le peloton d'exécution à la tarte à la crème) est digne d'anthologie, et elle n'est pas seule dans ce cas. bien sûr, la série sibylline est d'apparence plus enfantine que chaminou, mais il ne faut pas s'y laisser tromper: ces histoires sont tout-à-fait dans la veine du khrompire.

le premier tome de la collection, sibylline et la betterave, n'est pas aussi bon, mais il fait une très bonne entrée en matière. il faut savoir que les trois histoires de ce volume ne sont pas placées tout-à-fait en ordre chronologique. en effet, ce sont les deux dernières qui voient l'apparition de sibylline, originellement souris de maison, qui s'en verra chassée, et rejoindra ensuite le bosquet hanté où se déroulera la suite de ses aventures. dans l'histoire titre (chrolonogiquement la troisième, mais présentée en premier), sibylline et son fiancé taboum sont en vadrouille, ils n'ont pas encore d'endroit à habiter. la fin du récit les montre sur le point de rejoindre leur nouveau pays.

un esprit chagrin nous dira: ce n'est que de la péripétie, tout ça. nul grand concept, nulle grande idée à ces histoires de bêtes. ce à quoi on le laissera à ses blake et mortimer.

tiens, pour finir, je mentionne un autre livre, sans rapport à macherot, que j'ai récemment aimé. il s'agit d'aya de yopougon (tome 1), de marguerite abouet et clément ouberie. ben oui, le prix d'angoulême du meilleur premier album est finalement bien mérité (j'aurais donné à boris bukulin, mais il n'était même pas en nomination, c'est dire combien mes opinions ont la cote!) car ce livre est franchement délicieux. l'image semblera éculée, mais voilà un livre qui goûte les épices, dont le rythme est toujours soutenu, et jamais triste, dont la culture est belle. il ne s'agit pas d'autre chose que d'un précieux moment de lecture, que l'on espère poursuivre sans encombre avec les prochains tomes. (dans le genre, le nouveau klezmer de sfar, dans la même collection, "bayou", qu'il dirige d'ailleurs, ne donne pas sa place non plus: là où aya joue avec les saveurs, klezmer nous fait de la musique en dessin. comme quoi la bande dessinée est capable de choses étonnantes.)

(ah oui, et je vous ai dit, aussi, que c'est très bon gogo monster? et que c'est fort agréable de lire pascin en une traite? mais là, je vais finir par parler toujours des mêmes. heureusement, je ne suis pas payé pour ça.)

je termine en informant mes deux patients et estimés lecteurs (et qui sait, ils sont peut-être même déjà au courant) qu'un livre, une bande dessinée même, paraîtra à mon nom vers la fin mars, chez l'éditeur fichtre (qui en fait est d'abord un libraire mais récemment aussi un éditeur). mes amis montréalais seront invités à un lancement d'ici peu. ce livre sera le premier tome (de trois) de quelque chose qui s'appelle la muse récursive. pourquoi la muse récursive? c'est ce que l'on saura... dans le deuxième tome (rassurez-vous, si tout va bien, il paraîtra six mois après). notons que chaque tome fera une centaine de pages, ce qui devrait satisfaire les amateurs de récits de longue haleine. la muse récursive a été commencée plus ou moins sur la même impulsion que lapinot et les carottes de patagonie (espérons que trondheim ne jugera pas avoir généré une trop médiocre émule), c'est-à-dire l'idée d'improviser une longue histoire sur une longue distance. depuis, l'affaire s'est quelque peu consolidée autour de quelques intrigues, mais j'espère que le lecteur ne m'en voudra pas que le résultat puisse causer une certaine perplexité. j'ai voulu écrire un livre comme j'aime en lire. mais, on sait que j'ai des lectures un peu absconses. ceci expliquerait peut-être cela.

de toute façon, j'offrirai bientôt la couverture ainsi que quelques extraits, question que l'on se fasse une idée. d'ici là, il est assez tard et, tiens, je vais aller lire. j'ai le choix cette nuit: du crumb ou du pratt? il y a aussi deux tomes d'isabelle (non, pas celle de servais) en bel état et en édition probablement originale. du bonbon, quoi.

4 commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit:

En effet Macherot est difficile à trouver (à prix raisonnable). Je n'ai lu que le 1er tome du Khrompire dans l'édition de 1994. J'ai été assez déçu, mais je ne sais pas quelle est la part de Saive dans cette édition. Peut-être est-ce la cause de ma déception ...

Félicitations pour ton futur livre, le trouvera-t-on en France ?

22 février, 2006 17:14  
Blogger david t a écrit:

je n'ai pas lu la version d'olivier saive mais a priori je ne la conseillerais pas; macherot n'en a fait que le scénario et encore, j'ai des doutes sur l'ampleur de son implication (depuis 1990, il ne touche pour ainsi dire plus du tout à la BD et en entrevue, il semble dire qu'il a laissé saive travailler tout seul) et donc sur l'intérêt de la chose (malgré le bien qu'en a dit notre ami pierre).

il est un peu embêtant de conseiller du macherot car techniquement, le seul volume présentement "disponible" de lui est la compilation clifton chez niffle. personnellement, cette série n'est pas ce que j'aime le plus de macherot. sinon, il y a l'intégrale des trois premiers chlorophylle bientôt chez le lombard, mais c'est du matériel un peu vieillot, on peut ne pas y être sensible. ah là là.

pour la diffusion de mon livre en france, rien n'est encore certain mais c'est assez probable. je te tiendrai au courant. :)

22 février, 2006 23:34  
Anonymous Anonyme a écrit:

Le Boris Bukulin est tout de même d'une approche moins conventionnelle et plus baroque que celle d'Aya. Alors le but du Festival est-il de révéler des talents nouveaux et forts ou bien d'ancrer le mieux possible la BD de qualité dans l'esprit des gens ?
Je ne fais que poser la question d'ailleurs...
Ensuite, je me dis que pour le vent de fraîcheur qu'ils font souffler sur l'idée que l'on peut avoir de l'Afrique, les auteurs ont bien mérité cette reconnaissance.
Un prix démagogique ou un prix du coeur ? On ne nous trompe finalement pas sur la marchandise ! ;o)

23 février, 2006 07:50  
Blogger david t a écrit:

coacho: bah, vive le baroque, c'est ce que j'en dis. :) je ne plains certainement pas du fait qu'aya ait remporté un prix (peu importe lequel), c'est un livre délicieux qui mérite qu'on en dise du bien. mais bon, le bukulin est, justement, plutôt unique. ma théorie est que la plupart des lecteurs y ont vu un bon livre un peu abscons, alors que d'autres y ont plutôt reconnu avec un certain délice une manière de penser à la fois rare et familière...

24 février, 2006 00:53  

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