15 mai 2005

l'ombre du marsupilami

"Immédiatement, je mis en action mon téléobjectif et le braquai sur le nouvel animal... Oh! merveille! J'avais sous les yeux un chef-d'oeuvre de la nature!"


décidemment, le nid des marsupilamis (1957) est un récit bien désarmant. faisant entièrement contraste d'avec le reste de la série-mère (spirou et fantasio bien sûr), le récit de 40 pages, qui est en fait un long reportage réalisé et narré par la reporter seccottine, se veut un documentaire sur la vie des marsupilamis dans la forêt palombienne. bien sûr, tout dans ce documentaire est faux: le marsupilami n'existe pas, non plus que la palombie ou seccotine.

le nid des marsupilamis a été qualifié par certains critiques (dont numa sadoul) de "non-aventure", du fait que les héros présumés y sont entièrement passifs, puisqu'ils sont les spectateurs du reportage. en fait, parler de non-aventure est une façon un peu détournée de noter que la véritable histoire se déroule à l'intérieur du reportage et n'implique aucunement spirou et fantasio: le marsupilami rencontre une marsupilamie et gagne son affection. puis ils construisent un nid où trois petits marsupilamis verront le jour. mais la petite famille devra bien sûr faire face aux dangers de la cruelle forêt palombienne...

petite fable ludique sans grande intrigue? peut-être. sauf que d'abord, c'est très drôle. l'humour de franquin est burlesque et se nourrit de catastrophes. il se cache derrière une façade aimable une subversion nourrie pour qui tout est un jeu; un fantasme d'enfant qui ne connait pas la méchanceté, une suite de mauvais coups pour rire. le marsupilami est une synthèse de tout cela.

graphiquement, l'auteur donne à son fantastique animal toutes les meilleures expressions, il le gratifie de son dessin le plus élégant. chaque trait d'expression est un travail d'orfèvre, d'une justesse accomplie d'autant plus que rien n'a jamais l'air forcé.

la façon dont s'y prend le marsupilami pour séduire sa belle ont tout du dessinateur timide et maladroit (je suis bien placé pour en parler). marsu ne s'y prend pas trop mal au début mais, effarouchée par tant d'attentions, la belle refuse un moment ses avances. je ne sais pas ce que l'on doit lire dans ce passage, mais il a un petit côté "adulte" qui, au demeurant, est très bien vu. au fait, page 16, la marsupilamie nous fait un petit be-bop...

commettons le lieu commun voulant que le nid soit, de loin, l'aventure la plus "féminine" de la série spirou et fantasio. on sait qu'à cette époque, les contraintes éditoriales d'un journal catholique tel que spirou demandaient que les héros soient nécessairement des garçons (les sophie, isabelle, natacha et autres franka resteront toujours minoritaires dans ces pages) et les récits se cantonnent obstinément à ce genre très particulier d'aventure entre réalisme scout et burlesque de science-fiction qui faisait alors la marque de commerce des éditions dupuis. le nid a donc toutes les apparences d'un prétexte pour y contrevenir joyeusement tout en demeurant "acceptable" aux yeux des censeurs. on trouvera d'ailleurs dans ce volume plusieurs gros plans sur le visage de seccotine, rares chez franquin, dont certains sont charmants. (la citation en exergue vient de mon préféré d'entre eux.)

pourquoi célèbre-t-on autant le marsupilami? à mon avis, tout simplement parce que c'est le plus impressionnant animal jamais inventé par un auteur de BD. d'abord pour son ingénuité et sa parfaite solidité. car l'animal est rare, aussi doit-il savoir se défendre. pour cela, il dispose d'une queue de plusieurs mètres qui lui permet à peu près n'importe quelle cascade. ce n'est pas un hasard si, dans sa première grande aventure (les voleurs du marsupilami, 1952), franquin met en scène sa créature dans le cadre d'un numéro de cirque: il s'y prête! c'est là qu'il perfectionne les inimitables pitreries du marsupilami, qui à elles seules sont une sorte de merveille du monde de la BD franco-belge. il serait assez intéressant qu'un historien nous recense un jour toutes ces routines...

à partir de là, le marsupilami est plus qu'un animal imaginaire: il est une créature graphique, un ressort narratif sur pattes, une source continuelle de mouvement. bref: il est l'animal de BD par excellence, celui qui n'existe que par le médium et par qui le médium trouve une sorte de justification par le sublime.

la liste des attributs du marsupilami nous décrit un individu formidable: hilare, généreux, impatient, fort, violent, insoumis. cet animal mangeur de pirhanas est une sorte d'anarchiste au sang chaud, dépourvu de vélléités de conquête (sinon féminine!) mais gare à vous si vous l'attaquez le premier...

marsupilami, le best of:

franquin, les voleurs du marsupilami (spirou et fantasio #5, 1952)
franquin, le dictateur et la champignon (spirou et fantasio #7, 1954)
franquin, le nid des marsupilamis (spirou et fantasio #12, 1957)
franquin, le voyageur du mésozoïque (spirou et fantasio #13, 1957)
franquin, greg et jidéhem, QRN sur bretzelburg (spirou et fantasio #18, 1963)

il existe aussi une série appelée simplement marsupilami mais, comme elle n'est ni dessinée ni scénarisée par franquin (bien que réalisée sous sa supervision), son intérêt est limité. au dessin, batem imite franquin convenablement mais sans beaucoup de personnalité. on peut tout de même lire les quatre premiers tomes, scénarisés respectivement par greg et yann.

2 commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit:

Ça y est!
J'ai enfin pris le temps de te lire.
Très chouette texte, très intéressant.
On peut aussi se souvenir que Franquin réalise Le nid des Marsupilamis pendant la grossesse de sa femme. Et ainsi relire cet album sous un angle un peu différent, presque autobiographique.

23 mai, 2005 07:59  
Anonymous Anonyme a écrit:

Ah! le Nid des marsupilamis... C'est une des dernières apparitions chez Franquin de la charmante Seccotine. Cela me rappelle un très beau texte de Yann publié dans un numéro des Cahiers de la BD, intitulé je crois "le genou de Seccotine" où il évoquait la charge érotique d'un geste de ce personnage (au début de l'histoire) et son impact sur sa jeune sensibilité (c: En tout cas David, ton texte m'a donné envie de relire ce grand album.

Pierre

05 août, 2005 16:58  

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