01 mars 2005

matsumoto, feiffer...

amer béton (de taiyou matsumoto bien sûr) est une lecture bien étrange... évidemment, c'est très bon et très beau: matsumoto maîtrise déjà bien son trait bien qu'il n'est pas encore le virtuose de ping pong. surtout, il sait rendre ses personnages crédibles et c'est un excellent illusionniste: on croit sans peine à toutes ses fantaisies. ses symboles sont gros (le noir et le blanc; les chats, le rat, le serpent; etc.) mais il les détourne de façon assez habile et on reste loin de la psycho de cégep (en fait, en lisant ce genre de livre un peu violent et tapageur, j'ai toujours peur de voir sortir la morale d'idiot, la leçon de vie boboche, le gros pathos braillard qui avaient tant gâché ma (re)lecture du premier cycle de the maxx il y a quelques temps.)

sauf que, sauf que... chez matsumoto, il y a toujours ce sens de l'équilibre à faire ou à briser -- un état d'interdépendance parfait entre deux personnages qui s'effrite, se refait, devient autre chose... l'auteur est allé loin avec ce schéma dans ping pong qui est autrement plus réaliste qu'amer béton. la grande innovation de son oeuvre en cours, l'excellentissime number 5, est finalement qu'elle fait passer cet équilibre binaire à un autre, plus large, qui ressemble davantage à une roue de couleurs représentant les neuf membres de ce que matsumoto appelle l'armée des... rainbows! (bien sûr, il y a aussi un équilibre binaire, beaucoup plus troublant, celui-là entre number 5 et l'étrange matrechka, symbiose aussi grotesque que parfaite.) on imagine l'auteur, penché sur son schéma, établissant des complémentarités parfaites entre ses personnages mais en tournant la roue juste assez pour que les teintes ne soient pas trop pures ni les connections trop évidentes...

beau trait d'auteur chez matsumoto: il recycle sans cesse ses meilleurs "acteurs". découvrant ses oeuvres dans la chronologie inverse, je suis enchanté de retrouver plus ou moins le personnage du pongiste chinois wenga kon sous les traits du yakuza appelé "le rat" dans amer béton. et on sent évidemment une affection particulière de l'auteur pour son personnage de noiro dans amer béton, qui devient smile, le bon deuxième dans ping pong et (ça ne s'invente pas!) number 2 de l'armée des rainbows dans number 5.

il me reste à lire le dernier tome d'amer béton et je reviendrai sans doute bientôt sur cet auteur que j'aime beaucoup.

un mot (je l'ai promis -- mais à qui? personne le lit ce carnet :) sur le fameux tantrum de jules feiffer, qu'on pourrait traduire par "grosse colère". graphiquement, tantrum ressemble à une collection de dessins de presse mais il ne faut pas s'y tromper: tout cela se suit et forme une "graphic novel" de très bonne facture. sur ce point, on peut pinailler: j'appellerais plutôt cela une "novella" personnellement. m'enfin, c'est un livre qui a son importance historique aux états-unis: on dit de ce livre publié pour la première fois en 1979 qu'il a contribué à inventer la lignée du "graphic novel" dont sont redevables aujourd'hui les spiegelman, ware et compagnie; on pourrait comparer son influence à celle d'ici même de forest et tardi, paru à peu près à la même époque.

évidemment, ce qui saute tout de suite aux yeux c'est que feiffer est un énorme dessinateur et que son coup de patte fait peur. chez feiffer, il n'y a pas d'ébauche avant la mise au propre: l'ébauche EST le dessin (et, rien à voir avec joann sfar qui, lui, prend son temps). et son histoire, partant d'un postulat absurde (leon, un homme de quarante ans, décide qu'il n'a plus quarante ans mais bien deux... et de fait, se transforme en bébé de deux ans), est bien plus tordue qu'il peut y paraître à première vue. c'est que la transformation amènera leon à retrouver ses parents, amis, famille... et à déchanter passablement. le tout est mené à un train d'enfer et reste agréablement grinçant de bout en bout.

5 commentaires:

Anonymous Anonyme a écrit:

Ah c'est malin: voilà que j'ai envie de lire Matsumoto maintenant. :)
(Amer Béton est introuvable en France je crois…)

01 mars, 2005 07:19  
Blogger david t a écrit:

salut yannick!

en fait, amer béton est encore trouvable mais seulement sur un coup de chance, comme ça m'est arrivé. j'avais l'impression que je ne le trouverais jamais et du fait, je ne l'ai jamais cherché; il m'est pour ainsi dire tombé dans les mains. :) je crois qu'il existe encore des stocks au fond de librairies obscures qui n'attendent qu'à être retournées à l'éditeur (tonkam) et remis sur le marché -- c'est du moins ce que j'ai compris. donc ça vaut la peine de demander à ton libraire s'il peut le commander.

mais commence déjà par number 5 ou ping pong si tu en as la chance, tu ne le regretteras pas. c'est très fort.

01 mars, 2005 14:28  
Anonymous Anonyme a écrit:

Number 5, j'avais déjà lu ce que tu en écrivais sur un certain forum et oui, c'est très tentant. Combien de volumes de prévu par contre?

01 mars, 2005 14:46  
Blogger david t a écrit:

je ne sais pas car la série est toujours en cours au japon. pour l'instant, 3 tomes et un nouveau prévu pour le mois prochain je crois. ping pong est en 5 tomes (1000 pages de BD!) et amer béton en 3.

01 mars, 2005 14:51  
Anonymous Anonyme a écrit:

J’ai eu la chance, par la gracieuseté d’un prêt de notre hôte David T., de faire la lecture de la trilogie Amer Béton de Matsumoto. J’en ressors particulièrement touchée. La profondeur psychologique des personnages résonne encore dans mon esprit malgré l’économie de mots de l’auteur et malgré le fait que j’ai terminé cette lecture, il y a déjà un petit moment.

Je me permets la comparaison entre cet ouvrage et un triptyque en peinture. L’ouvrage est fait de trois parties munies de leur propre identité et de leur propre atmosphère, juxtaposées l’une à la suite de l’autre, finissant par donner naissance à un tout équilibré mais particulièrement dynamique grâce à ces trois temps distincts. Cette œuvre est riche, vachement plus riche que ce à quoi je m’attendais et auquel je suis habituée. Ce récit, ma foi surprenant tant il annonce à première vue une simple histoire de ‘tits culs aux prises avec de vilains yakuzas, nous surprend sans cesse avec ces écarts stylistiques. On passe de l’aventure aux combats violents à l’intimité des moments tendres de yakuzas en crise existentielle en passant par la fantaisie quasi psychédélique du délire psychotique de l’un, à l’autisme de l’autre de nos deux héros prépubaires. Ici, la sauvagerie cruelle fait vie commune avec une intimité toute tendre. Jolie tour de montagnes russes (asiatique) à passer en compagnie de ces deux gamins, frères plus siamois qu’on le croirait… Miaou!

À remarquer; une première (en ce qui me concerne), la force constabulaire n’est pas ridiculisée! Wow!

À noter; les petits détails enrichissant la facture du dessin et même du récit, voir les panneaux publicitaires et les animaux symboliques, discrets mais à découvrir.

J’ai apprécié; les personnages secondaires vachement riches eux aussi, qui ré-enlignent et propulsent nos héros aux confins de leur personnalité tordue ainsi que la facture personnelle du dessin, à mille lieux du sempiternel format « gros yeux larmoyants ».

J’en veux encore!

Élodie

29 juin, 2005 13:52  

Publier un commentaire

<< Home