06 novembre 2004

jean-claude forest et jacques tardi, ici même

[cette critique est parue originellement sur le site bdparadisio]

Ici Même, classique de la BD française, on l'a dit et redit, mais qu'en penser, 25 ans après sa première parution?

A priori on voudrait dire que bon, c'est bien tout ça mais ça a un peu vieilli; que Tardi n'y est pas à son meilleur (ni dans son élément); que Forest n'y est que dialoguiste, organisant une intrigue quasiment par obligation éditoriale. Mais il faut voir cet album comme il est: une unique collaboration entre deux maîtres que, franchement, tout sépare. Pour s'en convaincre, il suffit de voir le traitement que fait Tardi du personnage de Julie; est-ce qu'elle ressemble à un personnage de Forest? Pas du tout, elle ressemble à du Tardi! Pourtant, elle parle comme un personnage de Forest! Qui plus est, elle nous semble vraie! C'est de la sorcellerie!

Il est vrai que Forest scénariste ne s'est jamais embêté de faire respecter ses propres canons féminins à ses dessinateurs. Gillon dessinant du Forest, par exemple, ça reste du Gillon (reste qu'il y a du Forest dans Quinine, mais ça tient de l'hommage... mais je disgresse.) Or donc ici, que fait Forest? Il enfile les morceaux de bravoure et laisse Tardi se débrouiller. Ce dernier s'en sort plus qu'honorablement (étant qui il est) mais c'est vraiment le premier qui fait chauffer les fourneaux. Et à bloc. (Ah, la langue de Forest...)

Ce qui est vraiment excitant dans cet album que certains qualifieront (non sans raison) d'historique, c'est que les auteurs semblent vraiment s'être investis à fond, sans égard à leurs profondes différences esthétiques, et le résultat est un OVNI à tout point de vue, qui ne ressemble à rien et qui n'a jamais été refait. C'est peut-être ce qui fait qu'on le yeute aujourd'hui avec ce petit regard suspect qu'on réserve aux Grands Classiques Anciens que personne n'a vraiment lus. Mais Ici Même, c'est un grand moment. De la BD et de l'histoire de la BD. (Et c'est du Forest pur jus. Raison de plus.)