f'murrr, jehanne au pied du mur, suivi de tim galère
[cette critique est parue originellement sur le site bdparadisio]
C'est une réaction à chaud, comme ça, mais ce Jehanne au pied du mur (suivi de Tim Galère) est une jolie merveille. Je dis ça en parfait amateur, ne connaissant de F'murrr que quelques tomes de son fameux Génie des alpages (que j'aime bien), mais je dois avouer que j'ai été encore plus surpris que je ne l'attendais par cette réédition, une autre perle que Casterman enfile à son collier de "Classiques". (Et une petite note pour le choix de la maquette de collection: simplicité, élégance, c'est tout ce qu'on demande. Si on pouvait en dire autant d'Aire libre!)
Le premier chapitre est limite incohérent. On comprend que l'histoire paraît d'abord en feuilleton court (2 pages à la fois) et que l'auteur n'y est peut-être pas aussi à l'aise que dans le format de gags "one-shot" du Génie des alpages. Le début consiste donc en une suite de gags autour de Jehanne d'Arc et de son fiancé extra-terrestre ne pouvant consommer leur union. C'est comique, mais les quelques répétitions et incohérences (par exemple les multiples couronnements du Dauphin) sont pour le moins confondantes. Le deuxième chapitre, plus linéaire, se lit déjà mieux, et place plus solidement les bases de ce qui suit.
Mais tout décolle vraiment à partir du troisième chapitre, qui scelle la rencontre (improbable, bien sûr) entre Jehanne d'Arc et Attila le Hun. La première est une buveuse invétérée flanquée d'un fiancé extra-terrestre, et pas particulièrement intéressée à conserver son pucelage; le second est évidemment un conquérant introverti, philosophe, et radin comme pas un. Et voilà, les passions sont lâchées, on cabotine joyeusement, et l'auteur continue d'affiner son humour (et son trait) pour notre plus grand plaisir. La bastonnade annoncée n'arrive jamais et on a plutôt droit à de réjouissants dialogues entre des personnages "historiques" auxquels il est difficile de ne pas s'attacher. Les anachronismes sont là quand on en a besoin, mais ne déparent jamais la trame.
Ce (joyeux) bordel est si admirable qu'on pense tout de suite à quelqu'un comme Sfar comme l'héritier de cette façon d'éviter l'"action", de dynamiter le récit pour qu'il n'adhère jamais à un schéma classique. Sauf que ce faisant, il en devient quasiment plus classique, renvoyant de ce fait à une certaine tradition du roman (pensons à Don Quichotte, mais surtout à Jacques le fataliste) où raconter est, en définitive, plus important que de faire.
Voilà pour Jehanne au pied du mur, qui fait quand même un bon 90 pages bien tassées, moins les amusantes pages intercalaires. Même format pour Tim Galère (84 pages), qui se veut la suite logique du précédent. Jehanne revient de l'espace avec son fils Timofort, mi-humain, mi-extra-terrestre, qui vieillit notamment beaucoup plus vite que les humains, euh, normaux. C'est bien sûr l'occasion de retrouvailles bien arrosées avec Attila, mais surtout de la quête de Timofort, et de bien d'autres péripéties beaucoup trop compliquées à expliquer (déjà que cette critique "spontanée" commence à ressembler à une thèse de doctorat).
Preuve de maturité, ce récit est franchement encore meilleur que le premier. Certaines scènes sont très belles: je pense entre autres à la scène du "ballet des mâchoires qui claquent" (p.143), tout simplement bluffante de puissance poétique. C'est vraiment ce récit qui m'a fait découvrir un F'murrr à l'humour moins désinvolte, au discours plus profond. Au point que je lui pardonne que le scénario soit finalement plus ou moins sans queue ni tête. Les images restent, et on se surprend d'être à ce point pris par la quête absurde du personnage, quelquefois représenté en pantin--métaphore trop bien amenée pour être simplement "facile". F'murrr, le dramaturge?
Je m'en voudrais de ne point mentionner la qualité extraordinaire du dessin dans ce deuxième récit (et c'est pas parce que le premier est pas bon!). C'est tout bonnement de la magie. F'murrr manie le noir et blanc avec une aisance insolente. Et ce trait tout en rondeurs, qu'on voudrait croquer. Cette maîtrise de la courbe fait penser à Tardi, même si certains me répondront sans doute que ça n'a rien à voir.
Au final, une brique qui charme, qui détend, qui décoiffe et qui finalement émeut. Sérieusement, je suis bluffé. Je n'en attendais pas tant! Heureusement tout de même que les deux histoires soient publiées ensemble, ça donne une finalité nécessaire à cette oeuvre somme toute assez disjonctée!
1 commentaires:
Cette critique d'album fait l'objet d'une recommandation dans le blog du Sage Précaire.
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