la revanche de macherot, et deux autres histoires
décidément, j'ai eu de la chance ces derniers temps. il est généralement assez rare de trouver du macherot en usagé (je ne parle même pas du neuf), et depuis mon sibylline en danger (voir chronique précédente), j'ai tout de même réussi à dégotter quatre nouveaux volumes: deux mineurs, et deux très bons. de ceux-là, il n'y en a qu'un dont j'avais le moindre souvenir de lecture: chaminou et le khrompire (1964), trouvé dans l'honnête réédition "péchés de jeunesse" (quand même ironique comme choix de collection lorsqu'on sait que macherot avait déjà plusieurs années d'expérience à tintin lorsqu'il écrit ce récit!) chaminou est un personnage très réussi mais, comme toujours chez macherot, ce sont les méchants qui sont au devant de la scène.
on aura deviné que je place cet unique tome dans la catégorie des très bons macherot (je ne suis pas le seul, semble-t-il...) malgré sa grande linéarité: on y passe constamment d'une péripétie à l'autre et l'intrigue est quelque peu rudimentaire (disons qu'on ne se casse pas la tête pour suivre le récit.) par contre, le rythme est excellent et les références au film noir (dans un album tout en couleurs, faut le faire! mais il y a de très belles ambiances nocturnes dans la première moitié du livre) sont tout bonnement savoureuses. et on sourira au fait que le fameux khrompire du titre se voit largement confiné au second rôle au profit du vrai méchant de l'histoire (en l'occurence, le gouverneur crunchblott, avatar d'anthracite), ce qui est tout-à-fait "macherotien". (macherotin?)
l'autre "très bon" est la revanche d'anthracite (1961-62, de la série chlorophylle) dont l'intrigue est plus tassée que pour le chaminou et, par conséquent, plus emballante. les petites caricatures des travers humains à la macherot font toujours l'effet d'un bonbon piquant, surtout qu'ici, on y parle, et de manière à peine voilée, de la menace de l'arme nucléaire. encore une fois ici, le méchant (en l'occurence l'odieux anthracite) est le véritable héros de l'histoire. même le grand zorglub n'est pas autant le héros de z comme zorglub qu'anthracite est le héros dans sa revanche éponyme. ce genre de mise en équilibre (les "bons" ont finalement à peu près autant de poids narratif que les "méchants") s'avère une sorte d'invitation à l'intelligence du lecteur. au fait, les gags sont très bons dans cet opus.
je ne parle pas du dessin du maître, à la fois vif et rugueux; ni de la composition des cases, d'une limpidité toute hergéenne; autant dire qu'on a ici le meilleur des deux mondes de la BD belge.
je note les autres deux albums trouvés: tout d'abord le furet gastronome (1962), un autre chlorophylle, qui est surtout mineur du fait d'être plus court (30 pages) et donc moins développé. cela reste agréable pour autant. notons entre autres au début du récit un calque du combat entre zabaglione et valentin mollet à la fin des voleurs du marsupilami (1952)! par contre, sibylline s'envole (1974) se révèle être la déception annoncée, malgré un scénario sympathique signé paul deliège (créateur de bobo, décédé plus tôt cette année). disons que tout ça est bien édulcoré et que, même au dessin, macherot n'y est pas à son meilleur, loin de là. on sait cependant que ce livre correspond à une période de dépression de l'auteur.
ma redécouverte du corpus franquinien avait été déclenchée par la lecture du et franquin créa la gaffe de numa sadoul. j'ai donc cru intéressant, dans cette découverte de macherot (parler de redécouverte me semble inexact, n'ayant lu que très peu de livres de cet auteur avant cette année), de m'accompagner d'un guide. en l'occurence, ce guide est la monographie éditée par mosquito, intéressante surtout pour l'entretien avec l'auteur, qui ne révèle pas grand chose tout de même, mais aussi pour les jolis dessins, représentant diverses époques, parsemant le volume. sans compter bien sûr la bibliographie complète, très utile pour bien s'y retrouver au vu des éditions fort disparates, difficiles à trouver. on y découvre en tout cas qu'à l'âge de 15 ans, macherot pouvait dessiner aussi bien qu'hergé, et on y apprend qu'un changement de marque de plume a eu une influence marquante, et pas forcément positive, sur son dessin.
trouverai-je bientôt d'autres macherot? c'est à peu près la seule chose que je recherche ces jours-ci, du moins dans les librairies usagées. j'ajouterai mes commentaires lorsqu'il y aura du nouveau...
au fait, je pourrais bien mentionner que j'ai lu des trucs plus récents aussi, sinon on va croire que je deviens gâteux à ne lire que de la vielle BD belge.
d'abord, que the boulevard of broken dreams de kim et simon deitch (traduit en français sous le titre une tragédie américaine) est un petit chef-d'oeuvre, gâché seulement par une finale par trop symétrique (une application un peu ratée, selon moi, de "l'effet jimmy corrigan") mais rachetée par une dernière page vraiment émouvante (vous ne me verrez pas dire ça souvent d'une BD!) le dessin, à la fois brut et précis, fait une grande place aux hachurés maniaques et aux aplats noirs envahissants, qui créent une ambiance aussi grotesque qu'irrésistible.
tout au long du livre les personnages principaux sont représentés dans les films d'animation qu'ils réalisent. cette mise en abîme, peu impressionnante a priori, permet pourtant d'explorer la psyché des personnages d'une manière toute naturelle, narrativement redoutable. elle permet (surtout) de rendre crédible la pureté des sentiments des deux personnages principaux, le dessinateur ted mishkin, animateur aux tendances hébéphréniques, et sa collègue lillian freer, véritable figure centrale de ce livre beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît à première vue. et ce portrait-hommage, un rien grinçant, d'un windsor mccay (génial créateur de little nemo mais aussi pionnier de l'animation) sur le déclin ajoute une réelle profondeur au récit. the boulevard of broken dreams est une histoire triste mais, en même temps, étrangement réjouissante.
et puis, je l'avoue, j'ai bien aimé l'avant-dernier jc denis, quelques mois à l'amélie, qui me faisait envie depuis un moment. que dire: c'est charmant et agréablement ironique. sans se mettre directement en scène, denis fait vivre à son personnage principal, un écrivain dans la cinquantaine, des questionnements sur sa pratique artistique, qu'on doute proche des siens. denis a une jolie façon de démonter le fantasme de vieux célibataire qui forme le coeur du livre (dans une petit village perdu, une jolie femme vit seule avec son enfant). en dévoilant l'histoire souterraine derrière le fantasme, denis s'amuse avec le lecteur: il lui donne la "crédibilité" qu'il attend mais, ce faisant, il démolit l'idylle et donc, la tension. l'anglais possède un mot pour qualifier cela: "deceptive" (à ne surtout pas confondre avec "décevant"!)
chez denis, un concept tel que la "pureté des sentiments" (voir plus haut, chez les deitch) serait incroyable. ses histoires sont plutôt des ambiances, des mobiles, elles appellent à un certain naturalisme. c'est ce qui rend aussi désarçonnantes les entorses au réalisme des vieux luc leroi, par exemple. c'est aussi, il me semble, la cause du désarroi du personnage d'aloys clark (l'écrivain, héros du récit) dans quelques mois à l'amélie: il a l'impression de tourner en rond à l'intérieur du système esthétique qu'il s'est constitué, aussi il tente de s'évader en suivant la piste d'un autre écrivain. mais ce faisant, il découvre... un autre système; un autre mobile. ce procédé narratif de denis n'est pas tant ingénieux qu'il semble nous en dévoiler long sur sa propre façon de concevoir des histoires, ainsi que les obstacles qu'il rencontre dans son travail et la façon dont il les contourne.
8 commentaires:
bon voilà, j'ai réparé les images brisées de mon blogue (bulledair avait changé ses images de place, les gredins) et puis j'ai mis du gras coloré en blanc pour mettre les titres en évidence. je suis certain que les deux lecteurs de ce blogue m'en sauront gré.
Nous t'en sommes gré cher David.
Juste une curiosité, sais-tu si les Macherot sont encore édités quelque part ou bien faut-il fouiller impitoyablement tous les libristes de France, de Navarre et d'ailleurs ?
je crois que le seul livre de macherot qui soit couramment disponible est l'intégrale clifton publiée chez niffle. il semble qu'autant le lombard que dupuis ont abandonné leurs catalogues depuis longtemps, et on dirait que même marsu a abandonné sa reprise de chaminou.
donc pour le reste, il faut écumer les librairies. c'est long (et parfois dispendieux) mais ô combien gratifiant quand on trouve quelque chose. les titres généralement recommandés un peu partout sont:
- tout chlorophylle (surtout les albums se déroulant à croquefredouille, qui ont déjà fait l'objet d'une intégrale dans la collection les classiques du rire du lombard);
- chaminou et le khrompire
- les 3 premiers sibylline ainsi que les derniers (particulièrement le violon de zagabor)
en général, les albums plus récents sont plus faciles à trouver.
prospective d'avenir: j'ai entendu parler d'une reprise de sibylline par andré taymans (?!?!); si cette rumeur s'avérait vraie, ça donne un peu d'espoir pour des rééditions.
Merci pour les informations (et pour le reste), je vais de ce pas écumer le quartier des antiquaires.
Chaminou "péché de jeunesse" ça fait rire jaune, c'est vrai ...
Un mot sur les reprises de Chaminou par Bodart et Yann puis par Saive qui sont hautement recommandables et faciles à trouver en occase. Ces auteurs avaient très bien saisi l'esprit de la série, en fait c'est un travail de passionnés qu'ils ont fait et qui malheureusement n'a connu qu'un médiocre succès public...
Pierre
ah bon? intéressant, j'avais pourtant tendance à me méfier de la reprise de chaminou. bon, heureusement, je connais un libraire qui a une copie de l'affaire carotassis. :)
au fait les mecs, quand vous postez ici, à "choisir une identité" vous pouvez sélectionner "autre" et signer votre nom sans vous inscrire. je dis ça comme ça. :)
Ces reprises sont parmi les rares initiatives éditoriales intéressantes à mettre au compte de Marsu Production. Mais l'affaire Carotasis donnait une vision un peu trop "adulte" pour plaire aux gamins et développait un style graphique trop "enfantin" pour plaire aux adultes. De plus, qui alors pouvait se souvenir de la version originale et saisir le point de vue des auteurs ? Bref se fut un bide. Saive a repris la série peu après dans un esprit moins irrévérencieux en s'appuyant sur un dessin qui imite parfaitement le Macherot de la grande époque (Saive raconte dans une interveiew comment il avait même réussi à "tromper" Macherot en recopiant une de ses planches de Chaminou à l'identique). Saive a donc laissé de côté le mordant de la reprise de Yann et proposé deux nouvelles histoires qui mettent entre parenthèse l'affaire Carotasis . Ensuite, en accord avec Macherot il s'est attaché a refondre en deux albums Chaminou et le Khrompire en ajoutant une présentation du Zooland ainsi qu'un récit "historique". Les amateurs crieront peut-être au scandale pour ce redécoupage désinvolte mais le résultat est intéressant. Cependant l'histoire s'est arrêtée ici. Marsu Production n'a semble-t-il pas jugé les résultats à la hauteurs de ses espérances, en termes de ventes s'entend ...
Pierre
La reprise de Chaminou par Yann et Bodart n'avait surtout pas conquis Macherot lui-même, le travail plus "transparent" de Saive lui convenant par la suite mieux.
Et c'est dommage je trouve…
Pour ceux qui aiment Bodart, le garçon a un blog maintenant, C'est ici.
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