une fois la nouvelle vague passée, qu'est-ce qu'on fait?
le blogue étant un endroit approprié (semble-t-il) pour les confessions, alors autant l'avouer tout de go: il y a deux semaines, j'ai revendu six albums de sfar, tous à l'état quasi neuf et pour l'équivalent une bouchée de pain chacun (un petit sandwich, à la rigueur). ce qui n'est pas un désaveu de l'auteur (je possède encore au moins une dixaine d'albums à son nom, tous très bons, sans compter la collection complète de donjon...). seulement, je trouvais qu'il prenait beaucoup de place dans ma petite bibliothèque. je voulais faire de la place.
or, la place étant faite, il fallait bien la remplir (d'ailleurs, ça n'a pas pris de temps). mais avec quoi? bien sûr, il y a les classiques: les nouveaux krazy & ignatz et complete peanuts, en l'occurence. mais quid du sang neuf, pour qui aime le solide?
soyons polémique: disons qu'il n'y a pas eu grand chose de neuf chez les vedettes de la nouvelle BD ces derniers temps... blain fait du blain, blutch fait du blutch, david b fait du david b, sfar fait du sfar. et trondheim, il est directeur de collection chez delcourt. ce qui est très bien: l'oeuvre de ces auteurs parle pour elle-même, pas besoin de justification. cependant, le lecteur égoïste, toujours à l'affut d'un bon coup de brique (dans le sens de livre), s'ennuie un peu et regarde ailleurs...
sauf que, et là je parle en lecteur et non pas en diplomate, une grande partie de ce qui sort sous les divers "labels" "nouvelle BD" ces derniers temps est, euhm, soyons gentils, d'intérêt disons, limité? je ne nommerai pas de noms, seulement les collections où ces oeuvres paraîssent en majorité, soit: poisson pilote (post-guy vidal) et surtout expresso. comment dire? un lecteur exigeant se fiche que quelque chose soit "tendance", ce qu'il veut, c'est un choc. isaac le pirate produit ce choc. professeur bell aussi. tout blutch, c'est un choc.
mais voilà, des chocs, ça ne se produit pas quand le livre est mou! il faut être dérangé par la lecture, retourné, même si c'est fait de façon amicale, consensuelle... forest, c'est doux, mais ce n'est pas mou! (non, ce n'est pas une question de couverture...)
il y a des exceptions. je parlais récemment du prestige de l'uniforme de loo hui phang et hugues micol (pas du tout à sa place dans la collection expresso), ainsi que de l'aventure des opposants de boris bukulin (à l'association, ce qui n'est pas surprenant), deux excellent livres, à la fois rudes, évocateurs et mystérieux.
et puis, heureusement, il y a david vandermeulen.
d'accord, le premier tome de fritz haber n'est pas un livre parfait, peut-être parce qu'un peu "expérimental", mais il n'en est que plus intéressant pour cette raison. précision technique: ce livre est entièrement "peint" en tons de sépia pour ressembler à un film muet des années 1930. les dialogues sont d'ailleurs indiqués en sous-titres et en intertitres. mais, non seulement cette technique peu orthodoxe passe très bien, elle permet en plus de bien traiter la distance historique, courte (1930, c'était hier) et en même temps pas tellement (ça fait quand même 70 ans tout ça!) comme de feuilleter un vieil album de photos un peu floues, d'un temps où la photographie existait mais pas tout-à-fait...
vandermeulen fouille la politique de l'époque plutôt que les réactions émotionnelles de ses protagonistes (on lui en est gré): il parle de l'allemagne des années 1930, et plus particulièrement de la montée du nazisme et du sionisme: deux nationalismes qui, on le verra, se nourriront l'un l'autre d'une manière bien perverse...
fritz haber, dont cette oeuvre est la biographie, est un scientifique génial, qui sera toute sa vie tiraillé entre ses origines juives et sa nationalité allemande. autant il s'évertuera à s'extirper de ses origines pour plaîre à ses maîtres allemands, qui lui fermeront pourtant leurs portes à maintes reprises, autant il sera souvent tenté, un peu par dépit, par la solution sioniste.
le grand mérite de vandermeulen est de démontrer, sans douteux schéma machiavélique, comment ce tiraillement peut s'expliquer de manière narrative. c'est une question difficile que l'auteur aprofondit dans une entrevue récente.
je n'ai pas envie de m'épandre sur les quelques défauts de ce premier tome (des dialogues un peu mécaniques, des citations un peu systématiques) car ils n'en forment pas le corps. voilà d'abord et avant tout un livre qui nous pose des questions -- il faudra le relire et le laisser mijoter. pour l'instant, on aurait surtout envie de le comparer au louis riel de chester brown, une autre biographie peu orthodoxe sur un personnage controversé. les deux livres ont beaucoup de qualités en commun, je ne dis que ça.
à part ça, j'ai beaucoup aimé le nouveau tardi, le petit bleu de la côte ouest, qui est une adaptation du roman du même nom par jean-patrick manchette. disons-le, c'est du noir, du polar véritable, et tardi n'avait pas été aussi bon dans cette veine depuis les meilleurs nestor burma. bien sûr, il y a plus de souffle dans 120, rue de la gare mais qu'importe.
le petit bleu est vicieusement moderne. manchette est sans pitié pour la belle morale bourgeoise. son paysage est fait de marques (de voiture et de pistolet), de musiciens de jazz et de bande dessinée bon marché (la fille du héros lit la mauvaise tête; un des méchants est amateur de comics de super-héros). on mettra le feu à une station-service, dans une scène aussi violente que mémorable. et la sagesse (toute temporaire) y prendra la forme d'un vieil anarchiste coupé du monde.
quant au héros, c'est un... cadre. un cadre ordinaire, qui se retrouve mêlé à une affaire qui ne le regarde pas. et qui refuse de crever (à son grand étonnement d'ailleurs).
je parlais de morale. ce qui est remarquable dans cette histoire (et tardi le rend très bien) c'est qu'elle n'offre pas de "morale de rechange". on n'essaie pas d'embobiner le lecteur, de lui faire croire que la quête du héros est juste et que l'on doit s'identifier à cette quête (i.e. cette croisade). non, au contraire, notre héros surnage, il ne fait qu'essayer de sauver sa peau, et c'est à un réflexe de survie très brut que l'on s'accroche comme lecteur. rien d'exaltant là-dedans. (rien non plus d'étonnant de la part de l'auteur de la guerre des tranchées et du cri du peuple.)
soit dit en passant, j'ai retrouvé de cet esprit dans le récent film de jacques audiard, de battre mon coeur s'est arrêté. excellent film d'ailleurs, qui réussit lui-aussi à montrer la violence et l'exploitation sans l'exalter, réservant la grâce à celui des personnages qui, au bout du compte, la rejette (mais à quel prix?) au fait, suis-je le seul à trouver que romain duris a une gueule à la nestor burma dans ce film?
ah là là, mais tardi est un "vieux", ça ne règle pas notre problème de ce qui vient après la vague... bon, à tout le moins il y a encore deux tomes du vandermeulen à venir. et il y a number 5 (encore 2 tomes...) et un nouveau giard (le pont du havre) pour bientôt. et puis un nouveau daniel clowes (ice haven). et puis il y a, peut-être un jour, la suite de la grippe coloniale d'appollo et serge huo-chao-si. après, on verra.
7 commentaires:
Echanges de bons procédés linguistiques franco-canadiens ! ;o)
La locution est "savoir gré" pas "être gré" ainsi tu peux reformuler ce passage dans ton intervention sur ce Fritz Haber que je n'ai toujours pas eu le temps de lire.
Voilà !
Sinon, oui, amateur de bonnes choses qui surprennent, ou lecteur de livres intéressants, tu peux essayer Morgan Navarro, David de Thuin, BigBen...
Y'a de quoi passer de chouettes moments avec des auteurs qui ont des réflexions et des visions vraiment intelligentes...
Bye. ^__^
comme quoi, il n'y a rien comme une petite polémique pour générer des réponses. :)
coacho et sa locution: ah bien... et moi qui croyais... bon, alors... :)
de thuin, j'ai trouvé son livre sympathique, sans plus (je sais, c'est à contre-courant de ce que tout le monde en dit). navarro, j'ai lu une de ses histoires dans ferraille, c'est effectivement intriguant. quant à bigben, j'en ai entendu parler pour la première fois cette semaine, je feuilletterai à la prochaine occasion, ça m'intrigue aussi. merci pour les conseils. :)
yannick: je trouve cocasse que toi et philippe soyez choqués que j'aie revendu quelques albums de sfar. :) rassure-toi, j'ai gardé mes préférés. je trouve juste que ses livres commencent à se ressembler beaucoup. j'ai donc élagué. j'aime que ma modeste bibliothèque représente ce que j'aime et ce que je lis vraiment. je sais, c'est bizarre. j'ai une relation très particulière avec ma bibliothèque, il faudra que j'essaie d'expliquer tout ça un de ces quatre. cela dit, je n'ai encore lu aucun des carnets de sfar et on dirait que je manque quelque chose, au vu de ce que l'on en dit.
pour le reste, j'ai finalement lu les notes pour une histoire de guerre de gipi que j'ai trouvé bon (et osé dans le bon sens du terme). en fait, par une ironie amusante, j'ai acquis ce livre-là en partie en échange contre les sfar. eh non, ce n'était pas vraiment pour m'acheter des sandwiches. :)
pour finir: forest, j'en ai pas mal de ses livres, c'est un des auteurs les plus agréables à lire et à relire que je connaisse. tous ses albums chez casterman en particulier (l'hydragon, la jonque fantôme, et bien sûr ici même) sont superbes, et j'aime beaucoup aussi sa période science-fiction dont les naufragés du temps (avec gillon au dessin). mystérieuse matin midi et soir et n'importe quoi de cheval aussi sont très bien. évidemment, quand c'est lui-même qui dessine, c'est du bonbon. j'aime jusqu'aux phylactères de forest.
et quimby the mouse, c'est un must, aussi. :)
David t,
Je vous remercie de parler de mon travail dans des termes qui, si je les ai jugés souvent piquants ou pas tous compréhensibles, me donnent à penser qu’ils ont été écrits sous l’emprise d’une certaine satisfaction. J’aimerais toutefois soulever quelques petites choses. La première est un malentendu qui a son importance : mon livre n’évoque aucunement, comme vous le répercuter sur votre blog, « l’Allemagne des années 30 ». Encore moins « la montée du nazisme ». Les 65 premières pages se situent au XIX siècle, et les 90 dernières, de 1901 à 1908. Il n’y a donc aucune « montée du nazisme » à chercher. La seconde chose est une erreur d’interprétation qui se lit dans votre phrase : « il s’évertuera à s’extirper de ses origines pour plaîre à ses maîtres allemands ». Les Allemands n’ont jamais été les maîtres des Juifs, que racontez-vous là ? Enfin, j’aimerais juste vous contredire quand vous affirmer que mes dialogues et mes citations ne forment pas le corps de mon livre. Je peux pourtant vous assurer qu’il sont bien pour moi le cœur-même de mon travail. Sans vouloir vous fâcher. Bien à vous. d.V.
monsieur vandermeulen, c'est un plaisir de vous lire sur mon modeste blogue. vous aurez compris que votre livre m'a à la fois réjoui et fait passer un excellent moment de lecture. vous me voyez navré que j'aie laissé passé autant d'erreurs factuelles dans mon texte. il faut dire que celui-ci a été écrit "à chaud", sans avoir votre livre sous les yeux. par exemple, pour ce qui est des années 1930, il s'agit d'une bête erreur de ma part.
pour "la montée du nazisme" et "ses maîtres allemands", il s'agit peut-être de raccourcis mais j'ose espérer que je ne me suis pas complètement mépris sur ce que vous rapportez dans votre livre. j'ai quand même cru y voir, sinon la montée, du moins les prémisces du nazisme. l'expression "maîtres allemands" traduit aussi, peut-être maladroitement, mon impression quant au rapport de pouvoir entre juifs et non-juifs.
quant à ce qui forme le "corps" de votre livre, je voulais surtout dire que son appréciation n'est pas gâchée par certains aspects que j'ai sommairement décrits comme ses "défauts" (qui n'en sont donc pas vraiment). il va sans dire que dialogues et citations sont en eux-mêmes essentiels à l'appréciation de fritz haber.
pour le reste, je résumerai ma pensée en rapprochant une nouvelle fois votre ouvrage du louis riel de chester brown dont j'ai parlé ici.
Modeste blogue, allons, allons, mon bon David, Internet ne connaît pas la modestie… Oh ! mais surtout ne vous justifiez pas, ce n’était certainement pas cela que j’attendais. Etre méprisé pour ses lectures est une chose naturelle et allant de soi, mais être aimé pour de mauvaises raisons est quelque chose de terrible que je n’assume pas encore très bien. Voici pourquoi, dans le doute, je me suis autorisé à vous replacer quelques pendules à l’heure. C’est une part de mon héros pédagogue qui prend de l’autorité sur ma personne, éh oui !
Je ne me suis pas encore décidé à lire ce livre de Chester Brown, il semble en effet très intéressant. J’éprouve de la difficulté à lire dans le texte et, comble de malheur, la récente facture de l’édition française me désole à un point que je n’arrive pas même à effleurer l’immonde objet. Que voulez-vous, à trop aimer les livres, des collections cherchant une ligne par trop distinctive peuvent devenir de véritables supplices pour le cœur et les yeux... Mais je vous donne ici une fausse raison, je lis désormais moins de dix bande dessinées par an. Vous m’excuserez, mais je fais court et ne réponds pas à toutes vos questions : j’ai un peu de mal quand il s’agit de m’exprimer sur la place publique – tiendriez-vous cette dernière pour modeste. Je préfère converser en privé ; on peut m’écrire via le site du livre. N’hésitez pas. Bien à vous. d.V.
Pour continuer dans la pinaille, je ne vois pas bien quels sont ces films muets des années 30 ... Hormis Les lumières de la ville et les Temps modernes, je n'en connais pas (comme ça david est habillé pour l'hiver, d'autant qu'il fait frisquet à Montréal(c:)
Le dessin de Fritz Haber m’a fait songer au travail d’Alex Barbier.
ma référence personnelle est le foolish wives de von stroheim mais finalement c'est un film de 1922, quelle honte! je ne vois vraiment pas d'où me vient cette fixation sur les années 1930, peut-être de krazy kat. bref, il ne faut jamais se fier à ce que je raconte, tenez-vous le pour dit. sinon, oui, j'ai moi aussi pensé à barbier pour le dessin.
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